Filière Economie et Sciences Sociales

 

Thèse présentée pour l’obtention du grade de docteur de l’Ecole Polytechnique
Soutenue le 25 Octobre 2004

 

Métadynamiques en Cognition Sociale

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David Chavalarias


Directeur de thèse :
M. Paul Bourgine, Directeur de l'Institut des Systèmes Complexes de Paris, Enseignant-chercheur à l'École Polytechnique, CREA.

Rapporteurs :
M. André Orléan, Directeur de recherche au CNRS, CEPREMAP.
M. Karl Sigmund, Professeur à l'Institut de Mathématiques de l'Université de Vienne, membre de l'Académie des Sciences Autrichienne.

Examinateurs :
M. Jean-Pierre Dupuy, Professeur à l’École Polytechnique et à l'Université Stanford, Directeur de recherche au CNRS.
Mme Mirta Gordon, Directeur de recherche au CNRS, laboratoire Leibniz.
M. Luc Steels, Professeur d'informatique à l'Université Libre de Bruxelles, directeur du laboratoire d'Intelligence Artificielle.

Résumé

Quels sont les principes fondateurs de l’auto-organisation des sociétés humaines ? Produits d’une évolution culturelle rapide, qui a pris le pas sur l’évolution biologique, celles-ci réclament une approche par des formalismes radicalement différents de ceux utilisés généralement dans l’étude des autres sociétés animales.


Concrètement, la modélisation des rapports entre individus et collectif considère le plus souvent des agents qui peuvent être représentés sous la forme d'une hiérarchie de règles, chacune se plaçant en position méta par rapport aux règles du niveau inférieur. Celles-ci peuvent s'interpréter, selon les niveaux, comme des règles de comportement, des règles de décision, des règles de transmission culturelle ou génétique.

L’émergence de régularités au niveau collectif peut alors s’interpréter comme la sélection d’une distribution particulière sur l’ensemble des règles et métarègles définissant les agents. Dès lors, le problème de l’auto-organisation dans les systèmes économiques et sociaux se reformule autour de la question suivante : « Peut-on endogénéiser les distributions des métarègles de comportement de manière à ce qu’elles soient le produit des dynamiques collectives qu’elles définissent ? ».

Nous montrons dans cette thèse que la prise en compte, dans les modèles formels, de la spécificité de l’imitation humaine permet de répondre positivement à cette question, un point essentiel étant qu’une règle d’imitation peut être sa propre métarègle. Nous proposons ainsi un cadre formel pour l’étude de sociétés d’agents mimétiques auto-organisées, les jeux métamimétiques ; le concept d’équilibre correspondant est alors l’état contrefactuellement stable : aucun agent ne peut s’imaginer mieux qu’il n’est en se mettant contrefactuellement à la place de l’un de ses voisins. Nous étudions ensuite les propriétés de ces jeux en prenant comme champs d’application le problème de l’émergence de la coopération dans un dilemme de prisonnier spatialisé. Nous montrons au passage, que cette approche permet d'échapper au dilemme.


Plus généralement, nous nous plaçons dans le cadre de la théorie des jeux stochastiques et nous explicitons le rôle structurant des perturbations dans ce type de système dynamique, les structures spatio-temporelles émergentes étant le produit du couplage entre la dynamique endogène des systèmes métamimétiques et la structure interne des perturbations. En rupture avec l’approche traditionnelle, ceci nous amène à interpréter l’hétérogénéité auto-organisée des systèmes sociaux humains comme une différenciation par un processus de co-évolution d’une multiplicité de critères possibles, plutôt que par un processus d’optimisation global d’un critère unique.

Mots clefs :
Systèmes complexes, méta-dynamiques, réseaux sociaux, systèmes perturbés, auto-organisation, autonomie, clôture opérationnelle, endogénéisation, émergence, sciences cognitives, spécificités de la cognition humaine, imitation, réflexivité, méta-cognition, individualisme méthodologique complexe, théorie des jeux stochastiques, rationalité limité, , équilibre contrefactuel, hiérarchie de règles, dilemme du prisonnier, co-évolution culturelle.

Abstract

What are the principles behind the self-organization of human societies? Studying the self-organization in human societies calls for models that are fundamentally different from those models used in studying other animal societies because cultural evolution occurs faster than biological evolution and is in fact a driving force of biological evolution.

Modelers in the social sciences generally represent agents as a hierarchy of rules, where rules at each level evolve under the dynamics defined by their meta-rules. Depending on the level, these rules can be interpreted as behavioural rules, decision rules, rules for cultural or genetic transmission.

The emergence of patterns at the collective level can, thus, be understood as the selection of a particular distribution on the set of possible rules and meta-rules. The question of self-organization within socio-economic systems can, therefore, be reduced to the following question: “Is it possible to endogenise the distribution of meta-rules of behavior such that this distribution becomes the outcome of the dynamics it defines?”

I try to show that, by taking into account in formal models the specificity of human mimetism, it is possible to answer this question positively. One of the crucial points is that a rule for imitation can be its own metarule. What I propose is, thus, a formal framework for the study of self-organized societies of mimetic agents: metamimetic games, with a corresponding equilibrium concept of counterfactually stable state. In a counterfactually stable state no agent can imagine itself better than it already is when it counterfactually imagine itself in the place of one of its neighbors. I study the properties of these games, with an application to the problem of the emergence of cooperation in a spatial prisoner’s dilemma. I also show that this approach enables the agents to escape the dilemma.

More generally, I reason within the framework of stochastic game theory and clarify the structuring role of the perturbations that take place in these dynamical systems, and the emergent space-time structures resulting from the coupling between the endogenous metamimetic dynamics and the internal structure of perturbations. Departing from the traditional approach, this leads us to interpret the heterogeneity in self-organized human social systems in terms of a differentiation resulting from a co-evolutionary process with a multiplicity of criteria, rather than in terms of a global optimisation process based on a single criterion.

Key words :
Complex systems, metadynamics, social networks, noisy systems, self-organization, autonomy, operational closure, endogenisation, émergence, cognitive sciences, specificity of human cognition, imitation, reflexivity, metacognition, complex methodological individualism, stochastic game theory, bounded rationality, counterfactual equilibrium, hierarchy of rules, prisoner’s dilemma, cultural co-evolution.